13 octobre 2020 – La belle coque de Jolokia, blanche et rouge comme le piment de la vie, nous attend au ponton de Lorient La Base, haut lieu de rassemblement des coureurs du Vendée Globe, à trois semaines du départ aux Sables d’Olonne.
Pour nous, la course va se limiter à une navigation de plusieurs heures dans les courreaux entre Lorient et l’île de Groix. Mais c’est aussi une belle aventure sous les grains et une jolie brise de nord/nord-ouest qui dégage heureusement quelques éclaircies.
L’équipage, composé de Jeff le skipper, Alex, Denis et Léa, les trois équipiers Jolokia, accueille à bord plusieurs patients de l’établissement public de santé mentale Jean-Baptiste Charcot, âgés d’environ 30 à 50 ans, accompagnés de Catherine et Marielle, infirmières. Pour la plupart d’entre eux, atteints de troubles psychiques, c’est le quatrième embarquement après trois sorties sur un voilier école.
BRIEF DE DÉPART
Auparavant, Jeff et Brigitte, chargée de projets chez Jolokia, les avaient réunis dans le container à terre tenant lieu de salle de réunion pour un brief – notamment météo – suivi des habituelles présentations. En toute franchise, sans crainte du regard de l’autre…
Rosen : «Malgré mon appréhension, j’ai super-hâte de monter sur le bateau. A la sortie précédente sur le Filao (une petite goélette de croisière), ça a tangué, mais j’ai pu barrer pendant les manœuvres.»
Erwan : «C’est ma deuxième expérience sur Jolokia. Je n’ai pas de crainte car on voit que le skipper et ses équipiers sont des pros. D’une sortie à une autre, ça me fait plaisir de faire de la voile dans la rade qui m’a vu naître.»
Alex, équipier : «C’est ma troisième navigation avec vous. A chaque fois, j’ai vu votre progression ! Erwan m’a d’ailleurs inspiré un slam.»
Sabine : «J’aime les sensations fortes apportées par la voile. C’est une école de vie : affronter sa peur, développer l’esprit d’équipe, se respecter… Je réalise mon rêve.»
Marielle, infirmière : «C’est mon deuxième embarquement. J’attends de voir les progrès de chacun.»
Denis, équipier : «Je suis très ému et excité de partager avec vous ces moments exceptionnels sur un bateau de course.»
Thibaut : «J’ai pratiqué la voile sur habitable comme navigateur quand j’étais étudiant. L’association Jolokia m’offre aujourd’hui la possibilité de refaire du bateau. Et sur un 60 pieds ! C’est impressionnant… et bon pour le moral.»
Jean-Louis : «C’est mon quatrième embarquement. Une superbe expérience pour connaître la mer et créer des liens. On se lie facilement et on se fait confiance.»
Yannick : «Les autres fois, j’ai appris à tenir la barre face au vent et plein de vocabulaire marin. Je re-signe aujourd’hui sans problème.»
Catherine, infirmière : «Ça va être ma deuxième fois. J’ai découvert un univers compliqué pour moi et les patients. Mais super-motivés, il se crée une bonne dynamique entre eux.»
Léa, équipière : «C’est une joie d’intégrer ce groupe et de partager son expérience.»
« L’avenir n’est que du présent à vivre. C’est à toi de le mettre en œuvre. Tu n’as pas à le prévoir mais à le permettre. » Slam d’Alex, équipier Jolokia
DÉBRIEF À L’ARRIVÉE
Chaque sortie de Jolokia étant suivie d’un débriefing, les «coureurs d’un jour» confient leurs appréhensions du départ et, en final, la joie d’avoir tenu bon, malgré les averses dégoulinant sur leurs parkas.
Rosen : «J’ai affronté ma peur en allant sur la proue de ce grand bateau. Les équipiers, super-cool, nous ont bien accompagnés dans les manœuvres. J’ai réalisé mon rêve de Groisillonne en longeant l’île de mon enfance.»
Erwan : «Ce qui m’a plu est que chacun auquel était fixé un poste a pu participer aux manœuvres. Pour la première fois, j’ai utilisé le moulin à café pour border la grand-voile. Je me sentais maritimement engagé.»
Sabine: «Sans cette expérience, je ne me serais jamais crue capable de barrer un bateau d’une telle envergure et de participer au réglage de ses voiles. Ça a été aussi un moment de faire le point sur ma vie. La voile m’apaise…»
Thibaut : «Je ne suis jamais allé aussi loin en mer et en sécurité ! J’ai appris à naviguer en équipe grâce à une bonne répartition des postes. En mer, on se sent libéré.»
Yannick : «J’ai adoré. La technique, c’est super intéressant. On a eu le vent qu’il fallait pour apprendre. Les trois sorties précédentes sur le Filao ont été un bon apprentissage avant d’embarquer sur Jolokia.»
Jean-Louis : «Dommage que ça soit fini ! Et pourtant, ce n’était pas évident pour moi au départ.»
Marielle : «J’ai découvert à la fois le mal de mer… et la cohésion d’un équipage. Au-delà des premières craintes, tout le monde m’a semblé heureux.»
Catherine (aux accompagnés) : «Cette journée nous a montré que vous êtes tous capables de faire bien des choses !»
Alex : «En confiance, vous avez vite appris et accompli votre rêve. Ne vous limitez pas à ce qu’on dit de vous.»
Denis : «Ce fut un beau moment de partage sur un bateau difficile à manœuvrer. On avait besoin de tout le monde !»
Léa : «Sur Jolokia, vous avez été plus engagés que les fois précédentes sur la petite goélette. Je vous ai trouvés beaucoup plus à l’aise.»
Et Jeff de tirer les enseignements de ces quelques heures en mer : «Ne vous laissez pas enfermer dans des cases. Si vous voulez faire quelque chose et qu’on vous en donne les moyens, vous réussirez. Vous avez montré que vous êtes capables de relever un défi. Comme Alex malgré son handicap moteur.»
A bord de Jolokia, comme l’ont assuré plusieurs participants, «le regard porté sur nous est différent. Personne ne nous juge et ne nous considère comme un malade.»
Chacun à son poste sait ce qu’il doit faire, selon les rôles attribués au départ par Jeff, qui anticipe et coordonne avec calme les manœuvres. Là, réside peut-être le secret de cette harmonie joyeuse dans la différence.
SUIVI DE NAVIGATION
Une séance de «restitution» a eu lieu début novembre à Lorient au cours de laquelle chaque participant a pu exprimer le ressenti de ses navigations, sous la forme de journaux de bord, dessins, aquarelles, découpages, objets… ou musiques.
Un an plus tard, l’équipe Jolokia doit recontacter les groupes embarqués pour suivre leur évolution, en concertation avec les accompagnants, et entretenir les liens noués à bord.
Texte et photos : Gérard Bourgeois.
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