Pour ce sixième épisode de notre série d’interviews “Diversité : parlons-en ! ” qui explore les enjeux de la diversité en compagnie de personnes inspirantes et engagées, Jolokia a rencontré Nicolas Froissard, Porte-parole et Membre du Directoire Communication corporate et Culture du Groupe SOS, la première entreprise sociale européenne. Nicolas Froissard est également cofondateur d’un diplôme universitaire porté par l’Université Paris Dauphine et le Groupe SOS pour former les entrepreneurs sociaux de demain.

Entretien réalisé en janvier 2021 par Léa Landuré-Provost, équipière Jolokia 2020-2021.

Said Hammouche

Jolokia : Quel a été ton parcours jusqu’à l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) ? Comment est né ton engagement ?

Nicolas Froissard : Je travaille au Groupe SOS depuis plus de 20 ans, et j’y suis arrivé un peu par hasard. À l’époque, je ne connaissais pas l’ESS. J’avais une vision très incomplète du secteur associatif. Je suis juriste de formation. Au début de ma carrière, j’ai travaillé dans une grande compagnie d’assurance. J’y ai beaucoup appris, tout n’était pas négatif, mais il me manquait quelque chose.
Caroline, qui allait devenir ma femme, est magistrate. Elle a fait un stage dans l’une des structures du Groupe SOS, le Sleep In, un centre d’hébergement d’urgence pour toxicomanes SDF. Elle m’a parlé du groupe. J’ai rencontré son fondateur, Jean-Marc Borello, et nous avons décidé de faire un bout de chemin ensemble. Je disais “par hasard”, mais les choses n’arrivent jamais par hasard. Il y avait sans doute chez moi une volonté de m’engager dans une organisation qui travaille sur les questions d’intérêt général.

Le Groupe SOS est un “acteur de changement”. Il cherche des solutions innovantes pour “lutter contre les exclusions sous toutes leurs formes”. Pourrais-tu nous parler de la vision et des actions du Groupe et nous présenter quelques unes des solutions concrètes proposées en réponse aux exclusions ?

Le Groupe SOS est un acteur complètement associatif. Il n’y a pas d’actionnaire : personne n’est propriétaire ! Historiquement, le Groupe vient de la lutte contre les exclusions et plus précisément contre les addictions, via l’accompagnement et le soin des usagers de drogue. Dans les années 80, en s’occupant de toxicomanie, la problématique du VIH est arrivée très rapidement. Les toxicomanes sont souvent des personnes en précarité, donc les questions de logement et d’insertion professionnelle sont liées. Nous avons développé une série de projets et de structures sur ces aspects-là.

La lutte contre toutes les formes d’exclusions est toujours au centre de notre ADN. Nous avons élargi le projet pour que les plus vulnérables puissent bénéficier de services de grande qualité. Nous gérons des structures telles que des crèches, des hôpitaux, ou encore des maisons de retraite médicalisées, qui ne luttent pas nécessairement contre les exclusions au départ. Néanmoins, nous y développons des activités avec cette fibre-là.

Nous faisons se rencontrer régulièrement les professionnels, car l’innovation vient de la rencontre entre les différentes expertises ! Le Groupe SOS est très présent dans l’accompagnement du handicap. Il existe par exemple des crèches pour enfants en situation valide, et d’autres pour des enfants en situation de handicap. Pourquoi ne pas faire des crèches qui accueilleraient à la fois les deux publics ? Le bon sens nous dit que cela serait plus riche pour chacun, donc nous l’avons fait, en nous battant contre certaines règlementations et une culture parfois très cloisonnée en France.

Dans nos maisons de retraites, nous essayons de fournir la plus grande qualité de services dans des lieux beaux et accueillants, avec du personnel bien formé, bienveillant et tourné vers le bien-être des bénéficiaires. Les plus riches payent un peu plus, pour que tous aient accès aux mêmes exigences.

Le Groupe SOS existe depuis plus de 35 ans, agit dans 9 secteurs et compte plus de 500 établissements dans une quarantaine de pays, comment expliquez-vous le succès du Groupe ?

Le Groupe a développé des structures. Il est aussi constitué d’associations qui nous ont rejoints pour plusieurs raisons : mauvaise gestion, nécessité de s’appuyer sur une organisation plus importante ou de passer le relais pour les présidents et administrateurs bénévoles… Il comptait près de 300 personnes lorsque je l’ai rejoint en 2000, et s’est développé très vite car les besoins sont importants. Aujourd’hui nous sommes environ 20 000 personnes et 550 établissements.

C’est un groupe très pragmatique composé de personnes qui veulent être utiles et trouver des solutions concrètes aux enjeux de société. Lorsque nous identifions une solution qui fonctionne, nous la développons et faisons en sorte qu’elle essaime. Le secteur associatif a toujours innové pour répondre aux enjeux de société, mais il a parfois du mal à se professionnaliser. Le Groupe SOS a été très rapide sur cette transformation. Nous comptons actuellement près de 400 métiers différents et des centaines, voire des milliers de bénévoles travaillent avec nous au quotidien. Cela s’appuie sur des professionnels formés et militants qui exercent leur métier dans de bonnes conditions.

En atteignant une certaine taille c’est peut être aussi plus facile. Nous sommes plus forts pour reprendre des projets qui peuvent paraître fous. Nous pouvons convaincre les partenaires financiers de nous suivre, ou encore les partenaires publics que nous sommes capables de créer plusieurs milliers de places dans les centres d’hébergement de demandeurs d’asile, comme nous l’avons fait en réponse à la crise migratoire. Tout cela fait le succès ou explique un développement rapide. Des évaluations internes et externes régulières montrent que nos équipes sont utiles et que nos actions sur le terrain sont pertinentes. C’est là encore ce côté pragmatique.

Le Groupe SOS s’investit désormais dans les secteurs de l’écologie, du digital, de la culture et à l’international : en quoi ces secteurs sont-ils porteurs pour créer de l’emploi et développer la solidarité, la cohésion ?

En France, nous avons un savoir-faire dans le développement des associations et des ONG. Le Groupe SOS s’est développé à l’international et a accueilli des ONG telles qu’Afghanistan Libre, qui travaille sur l’éducation et la formation des jeunes femmes. Ces sujets ont du sens et nous sommes fiers d’y contribuer. Regarder comment cela se passe à l’international nous rend meilleurs. Nous croyons beaucoup en l’ouverture vers l’autre.

Aujourd’hui, en parlant d’innovation, les gens pensent à l’innovation technologique. Elle est effectivement très présente, mais doit aussi se tourner vers l’intérêt général pour essayer d’améliorer le vivre ensemble, de mieux lutter contre les exclusions, créer plus de solidarité… Le digital peut être utile aux plus fragiles. Reconnect est un exemple concret. La situation précaire des personnes sans domicile ou des demandeurs d’asile ne leur permet pas d’avoir un lieu fixe. Ils perdent régulièrement leurs papiers, ce qui est catastrophique pour avoir accès à leurs droits ou à la procédure d’obtention de l’asile. Reconnect met en place un Cloud solidaire pour numériser et sécuriser leurs papiers.

Les deux secteurs les plus récents sont la transition écologique et la culture. Les sujets sont différents, mais la réflexion est similaire. Réserver une alimentation de qualité bio à une élite fait-il sens ? La culture permet de rencontrer des personnes différentes, de s’inspirer, de rêver… Le confinement nous montre qu’il est difficile de se passer de l’échange avec l’autre et de culture. C’est un besoin fondamental. Comment rendre la culture accessible au plus grand nombre avec la même qualité, la même exigence ?

L’Économie Sociale et Solidaire s’est construite en réponse aux problèmes sociaux soulevés par des crises successives (Révolution industrielle au 19e siècle, essor des associations après la Libération en 1945, nouvelle vague dans les années 70… avant d’être structurée avec la Loi Hamon en 2014). Comment réagit l’écosystème de l’ESS à la crise que nous traversons aujourd’hui ? Pensez-vous qu’elle renforce la tendance et joue en faveur des structures de l’ESS ?

C’est un peu tôt pour le dire. Les secteurs d’activité souffrent différemment. Nous verrons comment ces structures s’en sortent grâce au plan de relance… Cette crise permet à tous de comprendre que les métiers du care sont importants pour notre société. Nous devons réinventer le modèle en profondeur et faire en sorte que la solidarité et l’environnement soient davantage présents. Certains ont la volonté de repartir comme avant. Je suis content de faire partie de réseaux tels que le Mouvement Impact France, car je pense que nous avons besoin de nous regrouper pour faire entendre les initiatives qui vont dans le bon sens.

La crise Covid 19 renforce les inégalités & amplifie l’exclusion des publics vulnérables : comment limiter cet impact ?

L’ESS est aussi une économie de la réparation. Parfois malheureusement, elle est vue uniquement par ce prisme-là. Aider les personnes en situation de précarité c’est bien, mais les aider à retrouver une vraie place dans la société, c’est mieux ! Heureusement que l’ESS et le secteur associatif sont omniprésents pour s’occuper des plus vulnérables et leur permettre de se réinsérer durablement.

Pendant la crise, le nombre de bénéficiaires d’aide alimentaire a augmenté de façon importante. L’association ANDES est un réseau d’épiceries solidaires qui récupère les invendus et les revend aux personnes et familles en difficulté à un prix symbolique. Ce dispositif existe aussi hors période de crise : le besoin n’est pas ponctuel. Il faut trouver des solutions sur le long terme pour réduire de façon importante les inégalités.

L’ESS ne doit pas se voir comme un village gaulois. Le seul moyen d’avancer est que tout le monde s’engage : les pouvoirs publics, les entreprises classiques (qui représentent un poids économique et un nombre de salariés absolument incroyables), les entreprises sociales, les académiques, les citoyens… Toutes ces organisations doivent absolument échanger entre elles et évoluer, pour impulser plus de solidarité dans notre société. Cela commence à venir mais il faut y travailler et arrêter de tout cloisonner. La question fondamentale du respect de l’environnement est évidemment liée.

Tu as lancé l’initiative #DénonceTesHéros sur LinkedIn pour mettre en avant des personnes inspirantes et engagées qui agissent pour l’inclusion. À quoi ressemblerait selon toi une société inclusive ? Comment la construire et quel est le rôle des sociétés ? Des collectivités ?

Luttons-nous réellement contre la discrimination à l’embauche ? Qu’en est-il de l’égalité femmes-hommes au sein de l’entreprise ? De l’impact environnemental… ? Il faut des objectifs et critères concrets pour permettre d’évaluer les comportements avec les salariés, les fournisseurs, les clients… Si différentes organisations arrivent à se mettre d’accord sur des outils objectifs, il sera plus facile de progresser. Aujourd’hui ce sont surtout des déclarations et bonnes intentions. Il faut aller au-delà pour prouver que nous allons vers l’innovation sociale, sociétale et environnementale.

Les enjeux sont tels que nous réussirons si nous sommes très majoritairement engagés au sein de nos sociétés. Quel modèle prôner ? Être très riche sans s’impliquer pour le bien commun : est-ce de la réussite ? Pendant le premier confinement, des amis et moi avons voulu poser ces questions-là et valoriser davantage les héros du quotidien. Cela a donné l’initiative #DénonceTesHéros. Les gens formidables aiment souvent l’ombre, or il faut qu’ils se montrent pour créer un cercle vertueux.
Dans notre société, le débat est souvent hystérique. Les gens dénoncent, insultent, invectivent à tour de bras. Il faut dénoncer ce qui ne va pas. Le mouvement #MeToo est une avancée majeure ! Mais beaucoup essaient d’humilier ceux qui simplement pensent différemment. Il faut se détendre. Dénoncer ses héros fait du bien à tout le monde et permet de découvrir des initiatives fantastiques !

Les managers aussi sont des héros du quotidien. Ils font grandir, sont à l’écoute et capables d’être à la fois exigeants et bienveillants. Beaucoup de professeurs ont changé la vie de leurs élèves positivement… Toutes ces personnes font des choses extra ! Les projets associatifs liés à l’intérêt général foisonnent mais les grands médias en parlent très peu. La course à la consommation est sympa un temps mais nous nous en lassons vite. D’autres choses permettent de se sentir bien dans ses baskets et d’être heureux. Cela passe sans doute par le lien social et le fait d’être un peu au service du collectif.

Tu es co-auteur d’Up To You. Cet ouvrage met en avant plusieurs innovations sociales et environnementales, et contribue à l’empowerment des citoyens en donnant à chacun les moyens d’agir, de changer les choses à son échelle. Comment innover, donner du sens et avoir un impact social ?

Effectivement, nous avons écrit le livre Up To You il y a quelques années avec William Elland-Goldsmith, autour des Up Conferences. Le Groupe SOS organise beaucoup d’événements et développe des activités de médias pour faire connaître au plus grand nombre l’ESS et les initiatives qui permettent de changer le monde en mieux. Je doute que voir aux informations uniquement ce qui va mal donne envie d’agir. Par contre, mettre en avant des initiatives formidables, qui fonctionnent, créent de la solidarité, respectent l’environnement, créent du lien social, diffusent la culture pour tous… Cela peut permettre au cercle vertueux de s’établir. C’est l’idée des actions du Groupe SOS, de #DénonceTesHéros et du Mouvement Impact France. Avoir un impact social est aussi une source d’épanouissement extraordinaire, tout est lié !

Quelle association ou initiative inspirante souhaiterais-tu recommander à nos lecteurs et lectrices pour les encourager à s’engager ?

Le parrainage est une forme d’engagement extraordinaire. Je suis très fier de faire partie de Parrains Par Mille. Le concept est simple : il s’agit d’accompagner un enfant (l’aider à faire ses devoirs, visiter un musée, une expo, ou faire des choses auxquelles il n’a pas accès dans son cercle familial), ou un jeune Mineur Non Accompagné arrivé seul en France (pour lui permettre de s’intégrer et l’aider à réfléchir sur sa formation et le métier qu’il voudra exercer). J’ai le grand plaisir de parrainer Lamine, arrivé mineur en France, et qui a maintenant un peu plus de 18 ans. Il va devenir menuisier et réaliser son rêve. Le parrainage est très développé et je crois beaucoup au fait de transmettre, accompagner, former ou simplement être à l’écoute.

Les associations font un travail formidable, mais comme le dit Bayram, une personne très présente sur LinkedIn et avec qui j’échange beaucoup : nous ne sommes pas obligés de passer par une structure. Si tu as envie de faire quelque chose, fais-le ! Tu as envie de nettoyer ta plage ou de discuter avec les personnes SDF en bas de chez toi et voir comment tu peux les aider ? Fais-le ! C’est de la relation humaine, c’est être à l’écoute de l’autre. Si chacun a envie d’être utile, c’est possible !

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