Cet été, lors de sa première participation au Tour du Finistère à la voile, Jolokia a déployé différents “temps-forts” au fil des escales pour valoriser des initiatives inclusives locales.

À cette occasion, Sam, équipier 2024, a rencontré David LOISELET, l’un des commandants et formateurs de l’ADJ, l’association des “Amis des Jeudi-Dimanche” – plus connue sous le nom de son fondateur, le Père Michel Jaouen.

Cette interview a été enregistrée le 30 juillet 2024 à l’Aber Wrac’h. Elle est retranscrite ici et proposée comme nouvel épisode du podcast Jolokia.

Jolokia : Qui es-tu et quel est ton parcours jusqu’à l’AJD ?

David LOISELET : Je viens de la montagne mais la montagne et la mer ne sont pas si éloignées. Toute ma famille paternelle est dans le Nord Finistère. J’y ai passé beaucoup de temps, et lorsque j’ai pu m’échapper définitivement de la montagne, je suis venu m’installer par ici, pour profiter pleinement de la mer.

Je suis tombé dans le chaudron de l’AJD très tôt lorsque j’étais petit et l’ai toujours suivi de loin. Après l’école de la Marine marchande, j’ai travaillé sur quelques grands voiliers : j’ai été patron de la Belle Étoile à Camaret, puis du Skeaf à Douarnenez… avant de revenir à l’AJD. Ce qui m’intéresse dans le maritime, c’est avant tout les gens qui vont avec.

Pourrais-tu nous présenter l’AJD ?

L’AJD est une institution qui a pour principal objectif de faire se rencontrer les gens : casser les milieux pour que tout le monde se rencontre, permettre aux plus “défavorisés” de sortir par le haut et créer de l’entraide et des amitiés. Pour cela, nous avons de fabuleux outils : le Bel Espoir et le Rara Avis, deux grands voiliers de trois mâts, ainsi qu’un chantier d’initiation aux métiers de la mer. L’objectif est de faire une “bonne mayonnaise” en mélangeant les gens. Le Père Jaouen a toujours dit qu’il faisait de la “bonne mayonnaise”.

L’objectif est de faire une “bonne mayonnaise” en mélangeant les gens. Le Père Jaouen a toujours dit qu’il faisait de la “bonne mayonnaise”.

L’association est d’abord née de la volonté du Père Jaouen d’élargir l’horizon de jeunes sortant de prison, puis a été ouverte à toutes et tous, convaincu que “le mélange des gens est la meilleure recette”. Comment faites-vous perdurer cela aujourd’hui ? Pourrais-tu nous présenter la diversité des profils à l’AJD ?

Tout est structuré de manière à accueillir tous les profils. Des stagiaires sont en formation d’initiation de la mer au chantier du Moulin de l’Enfer, qui est au fond de l’Aber Wrac’h. Cette formation est en priorité destinée aux moins de 25 ans. Elle est éventuellement ouverte à des personnes plus âgées au cas par cas. Cette formation est aussi bien ouverte à des personnes qui ont fait de grandes études et veulent changer de parcours de vie, qu’à des personnes déscolarisées depuis longtemps. Nous allons chercher toutes les catégories de jeunes.

Ces personnes-là constituent l’équipage des trois-mâts, qui eux sont ouverts à tout le monde et en priorité aux structures sociales. Beaucoup de navigations à la semaine ou de quinze jours sont organisées avec des personnes de tout âge, issues de structures sociales locales.

Une bonne partie des jeunes présents sur le chantier embarquent avec “Monsieur et Madame tout le monde” et des structures sociales : nous arrivons à un mélange assez complexe. Comme chacun sort de son quotidien et de ses facilités, chacun fait attention aux uns et aux autres, et cela fonctionne.

Comme chacun sort de son quotidien et de ses facilités, chacun fait attention aux uns et aux autres, et cela fonctionne.

La formation s’adresse en priorité aux moins de 25 ans, pourquoi ce choix ?

Beaucoup de jeunes de moins de 25 ans ne savent pas tellement où mettre les pieds aujourd’hui. L’intérêt d’une formation d’initiation aux métiers de la mer, c’est qu’ils regroupent des corps de métiers très différents : charpente, menuiserie, chaudronnerie, soudure, mécanique, électricité, cuisine, voilerie… Les stagiaires iront ou non vers le milieu du bateau, mais ils auront au moins découvert un centre d’intérêt grâce au monde maritime. L’objectif est de remettre le pied à l’étrier et leur permettre d’embrayer.

La diversité est inhérente à l’AJD : quels sont les richesses et obstacles dus à cette diversité ?

La diversité est fondamentale ! Je pense qu’il n’y a pratiquement que des richesses. Le fait de mélanger les gens crée des facilités incroyables et gomme les obstacles. Nous cassons les catégories. Il ne s’agit pas de mettre 10 jeunes de banlieue avec 10 autres qui sortent d’école d’ingénieur. Sorti de son milieu, chacun est obligé de faire avec les autres. Le mélange facilite énormément les choses et les avancées personnelles !

Pourrais-tu nous en dire plus sur le fonctionnement de l’AJD ? Combien y-a-t-il de stagiaires, de formateurs, de trois-mâts ?

À l’AJD, nous sommes tous salariés. Nous sommes 9 formateurs sur le chantier. Au bureau, 3 personnes s’occupent du secrétariat ainsi que de la formation cuisine. Les stagiaires font la cuisine quotidiennement, à tour de rôle. Cela fait partie intégrante de la formation.

En tout, nous avons 18 voiliers en service : deux grands voiliers, le Bel Espoir et le Rara Avis, ainsi qu’une flottille de plus petits bateaux de 15 mètres à 3 mètres 50, parmi lesquels un classique de 20 mètres, le White Dolphin que nous essayons de faire naviguer un maximum. 2 voiliers sont basés à Marseille. Cette antenne est exclusivement bénévole et propose des sorties à la journée pour des enfants de Marseille.

Cette flottille permet de mettre des outils à disposition. Chacun est libre de faire son choix, de s’orienter vers le support qu’il préfère et de jouer avec, d’essayer.

En arrivant dans un groupe, un collectif, il peut être difficile pour certain.e de trouver sa place et s’intégrer : pourquoi n’est-ce pas si facile ? Y arrivent-ils/-elles et comment ?

Pour rejoindre le chantier, les jeunes ont envoyé une lettre de motivation et nous avons passé des heures au téléphone avec eux. Ils sont motivés. Nous ne les forçons pas à venir. C’est un engagement.

À leur arrivée, la machine est en route : des trois-mâts naviguent, le chantier fonctionne, il y a de grosses machines partout, ça court dans tous les sens, c’est une fourmilière. Ils sont un petit peu déboussolés les deux premiers jours mais ce n’est pas le travail qui manque. Une fois que chacun est embrayé dans le boulot, nous faisons en sorte qu’il soit facile de discuter les uns avec les autres. Si les gens ont envie de parler, ils le font car les conditions sont réunies.

Comment communiquez-vous à bord ou dans la formation de manière générale ? Des échanges collectifs sont-ils prévus pour aborder les dysfonctionnements, les  désaccords ? Ou la médiation passe-t-elle par toi en tant que commandant et formateur ?

À bord, nous n’avons qu’une seule chose à faire, c’est faire avancer le bateau. Manger, boire du café, faire la vaisselle… Il y a du temps pour causer. Nous faisons de la médiation en permanence, sans que cela soit affiché. Cela se fait au fil de l’eau. Nous savons repérer une personne qui a besoin de parler. Cela se voit assez vite et nous ne le laissons pas tout seul ruminer dans son coin.

Quel impact a l’AJD auprès des stagiaires sur leur manière de vivre ensemble ? Sur les enjeux de Diversités & d’Inclusion ? Quels sont leurs retours ?

Ces dix dernières années, une quarantaine d’anciens stagiaires se sont installés à Douarnenez. Ils sont presque tous en contact les uns avec les autres.

L’un des principaux objectifs est que les stagiaires deviennent amis et s’entraident. En général, il y a du monde pour se donner des coups de main, aller chercher celui ou celle qui est resté.e un peu en arrière ou qui a un peu replongé. Au sein de l’équipe AJD, nous attendons de leurs nouvelles. Ils en donnent régulièrement d’eux-mêmes mais nous en prenons aussi si nous n’en avons pas et savons qu’il faut aller en chercher.

Qu’as tu découvert chez toi, humainement ?

Humainement, j’ai découvert que seul, je ne peux pas faire grand chose face aux enjeux actuels, qu’ils soient climatiques, environnementaux ou sociaux. Tout ce monde là avance parce que nous y mettons du nôtre, que nous communiquons et partageons. Sans cela, seul dans son coin, nous ne ferions pas grand chose.

Tu parlais des jeunes de 25 ans qui se sentent parfois un peu perdus : c’est une réalité pour beaucoup d’entre eux. Selon toi, à quoi cela est-il dû ? Quels sont les principaux enjeux de notre société ?

Il y a une perte de perspective un peu généralisée : il faut redonner de la perspective. Nous avons besoin des jeunes. Ils feront le monde de demain. Il y a beaucoup de choses à faire et la mer est un super terrain de jeu duquel il faut prendre soin. La navigation à voile est l’un des meilleurs outils pour parcourir le monde parce que c’est lent.

Il est très important aujourd’hui de réapprendre la lenteur et l’ennui, réapprendre à s’ennuyer et à prendre le temps. Nous ne nous ennuyons plus assez. L’ennui est d’une nécessité première ! Il est promoteur de solutions et d’envies. La navigation à voile est fabuleuse pour cela. Et de l’ennui naît l’envie d’aller discuter avec les autres.

L’ennui est d’une nécessité première ! Il est promoteur de solutions et d’envies.

Le Bel Espoir repart en mer : quels sont les prochains projets pour l’AJD ?

Le mot “projet” me questionne. À l’AJD nous fonctionnons sans projet : tous nos voiliers sont en mer. Le Rara Avis revient d’une boucle atlantique nord de 6 mois, le Bel Espoir repart pour l’Écosse… C’est une continuité.

Aurais-tu une recommandation inspirante : un livre, une initiative… ?

En France, nous avons eu plein de grands navigateurs et de grandes navigatrices, telles qu’Isabelle AUTISSIER. Ils ont parcouru le monde dans les années folles et sont aujourd’hui en mesure de se poser les bonnes questions sur la manière de continuer à faire cela et comment faire demain.

Ce qui m’inspire, c‘est de continuer à aller en mer, avec des personnes que je ne connais pas, qui viennent de partout. L’inspiration vient des gens que nous avons autour de nous. Lorsque nous sommes dans le même bateau, il n’y a que cela à faire et cela fonctionne très bien !

L’inspiration vient des gens que nous avons autour de nous.

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Site internet de l’AJD : belespoir.com

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